Économies de la jeune création à l’échelle européenne
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Économies de la jeune création à l’échelle européenne

Compte rendu du séminaire du 12 mai 2022 à Antre Peaux

Que sont les petits commerces de la jeune création devenus ?
#CULTURE PRO

L’Ensa Bourges est lauréate de l’AMI (Appel à Manifestation d’Interêt) Culture Pro 2021 « soutien à la professionnalisation et à la valorisation des jeunes diplômé·e·s des établissements supérieurs culture » par la Délégation générale à la transmission, aux territoires et à la démocratie du MINISTÈRE DE LA CULTURE.

Pour accomplir ce programme d’accompagnement de ses jeunes artistes diplômé·e·s, l’Ensa Bourges s’est associée à l’Antre Peaux pour organiser :
– des séances de conseils et d’orientation pour les jeunes artistes
– une liste alumni de diffusion d’informations professionnelles
– la production de ressources utiles : urlz.fr/hTFo
– l’accompagnement d’un groupe de jeunes artistes pour leur première exposition, qui prend place dans le programme Bourges Contemporain : « À tâtons les pieds dans le plat » – Exposition collective avec Flora Jamar, Sarah Jacquin, Anna Ponchon, Romane Vieira (collectif Coop Moh) et Jordan Roger à la Transversale, Lycée Alain-Fournier
– deux journées professionnelles

À cette occasion a été créé un padlet évolutif et collaboratif de ressources utiles pour jeunes artistes : urlz.fr/hTFo

Compte-rendu du séminaire du 12 mai 2022 au Nadir – Antre Peaux
Notions clefs de la journée
• Le caractère fédérateur de l’art et sa valeur sociale dans les petites et moyennes villes : investir de « nouveaux » lieux hors des métropoles permet à la fois de donner une visibilité à ces lieux, ses habitant·e·s, leur patrimoine et aux artistes réuni·e·s
• L’intérêt des initiatives associatives pour les projets artistiques et culturels
• La fragilité économique des initiatives artistiques et culturelles par manque de subventions, allocations et mobilisations d’autres acteur·rice·s économiques
• Les contraintes de lieux et de moyens peuvent devenir une force et façonner l’identité d’un projet
• L’importance du collectif et des moments de rassemblement : créer des conditions favorables au partage et à la rencontre entre les personnes est aussi une mission des lieux de création et de diffusion

Résumé de la journée
Quels sont les effets d’une présence artistique dans les villes où elle se fait moins fréquente ? L’enjeu de cette journée est d’étudier l’élargissement du spectre de la création artistique contemporaine au-delà des grands centres urbains.

Pour cela, la parole est tout d’abord donnée à Dominique Sagot-Duvauroux, économiste et professeur à l’Université d’Angers spécialisé sur les questions d’économie culturelle, du droit d’auteur et du marché de l’art contemporain. Après une présentation des différentes économies de l’art et les valeurs qui y sont liées, il propose différentes pistes de politiques publiques pouvant être mises en place afin d’améliorer les moyens économiques mis à disposition des artistes.

La conférence suivante est celle de Monique Auburtin qui, dans les années 1980, s’est investie dans la création de plusieurs galeries associatives et lieux alternatifs (notamment l’association Divergence, la galerie OEil, Avant démolition et Le Castel-Coucou). Le récit de son parcours permet de prendre contre-pied de la « jeune création » telle qu’elle peut être entendue aujourd’hui, avec l’exemple d’initiatives culturelles et artistiques d’une autre époque et pourtant similaires en plusieurs points aux propositions actuelles.

Un plateau de discussion est ensuite mis en place pour découvrir le parcours de deux associations et d’un post-master, tous trois témoignant de la dimension sociale et fédératrice des projets artistiques hors des grandes métropoles.

Claire Boitel, graphiste et céramiste, représente l’association 47-2 à Cosne-Cours-sur-Loire (58200), dont elle est la directrice. Le projet développe un lieu multifonctionnel dédié à la recherche, à la production et la diffusion de projets culturels et artistiques. Dorian Degoutte, artiste, cinéaste, photographe, représente l’association Vierzon-Cinéma à Vierzon (18100), dont il est le fondateur. Tout en vivant à Vierzon, il entreprend la réalisation de films ayant pour sujet la ville, son identité, ses habitant·e·s et leurs problématiques Enfin, Antoine Bacchman est l’un des étudiant·e·s du post-master de Design des mondes ruraux à Nontron (24300), proposé par les Arts décoratifs de Paris. Réunissant les caractéristiques d’un territoire en baisse démographique, Nontron devient un champ d’étude pour les étudiant·e·s.

Sommaire
I – Dominique Sagot-Duvauroux, La valeur de la création artistique
Souvent réduite à sa retombée économique, la valeur produite par les réalités artistiques est bien plus diversifiée. Il existe une toute autre valeur de l’art, invisible et non-rémunéré. Alors que certain·e·s artistes parviennent à vivre du marché de l’art, d’autres, beaucoup plus nombreux·euses, dépendent des appels à projets des institutions. Dès lors, il s’agit de repenser les moyens financiers mis à disposition des artistes en mobilisant de nouveaux·nouvelles acteur·rice·s économiques, notamment dans le domaine de la culture et du tourisme.

II – Monique Auburtin, Galeries associatives et lieux alternatifs
Entre Divergence, la galerie OEil, Avant démolition et le Castel-Coucou, Monique Auburtin revient sur son parcours association en tant que créatrice et directrice de lieux dédiés à la création et la diffusion de l’art contemporain à Forbach (57600). Les points communs qui réunissent ces lieux sont leur volonté d’innovation, de pouvoir offrir une visibilité aux artistes, favoriser l’ouverture à la création artistique actuelle et tisser des liens entre les populations.

III – Claire Boitel, L’association 47-2 à Cosne-Cours-sur-Loire (58200)
Fondée en 2018, l’association 47-2 prend place dans l’Imprimerie, lieu d’exposition mais aussi de résidence et d’ateliers. L’un des enjeux de l’association est de convaincre les publics que les lieux culturels ne sont pas réservés à une certaine élite. Pour cela, elle met à disposition de tou·te·s des espaces communs permettant de se retrouver et d’échanger, rendant possible la rencontre et le partage.

IV – Dorian Degoutte, L’association Vierzon-Cinéma à Vierzon (18100)
Fondée par Dorian Degoutte, l’association Vierzon-Cinéma a pour objectif de réaliser des films à Vierzon qui se trouve, comme beaucoup de villes moyennes en France, délaissée par les pouvoirs publics. Entre friches industrielles et commerces abandonnées, il s’agit d’en expérimenter le vide pour en faire un support à projets. L’art devient ainsi un moyen de mettre en valeur la ville tout en fédérant ses habitant·e·s.

V – Antoine Bacchman, Le post-master Design des mondes ruraux – Arts décoratifs de Paris à Nontron (24300)
Dans le cadre du post-master Design des mondes ruraux, huit étudiant·e·s vivent et travaillent ensemble dans une maison commune à Nontron. Tout comme à Vierzon, l’enjeu est de vivre quotidiennement le vide de Nontron et de partager la réalité des habitant·e·s. Les étudiant·e·s-artistes se trouvent alors révélateur·rice·s des problématiques de la ville et en proposent des réponses par leurs travaux.

Compte-rendu
I. Dominique Sagot-Duvauroux, La valeur de la création artistique
> Contexte
Ce qu’on nomme « valeur » peut reposer sur plusieurs principes. Le premier est économique, c’est-à-dire que la valeur dépend directement de ce que l’économie peut mesurer. Le second relève de la productivité, c’est-à-dire que la valeur se mesure par la capacité à économiser du temps pour chaque action réalisée. Le troisième principe est celui de la visibilité, d’après lequel parvenir à capter de l’attention revient à acquérir de la valeur.
Cependant, on remarque que ces définitions ne sont pas applicables à tous les domaines. Dans notre cas, la valeur artistique dépasse ce que son économie peut mesurer. Aussi, le principe de productivité, qui conçoit le temps comme un « ennemi » à amoindrir, est contradictoire pour une pluralité d’activités professionnelles où réduire le temps qui y est consacré revient à en réduire la valeur. De la même manière, certains métiers sont « invisibles » et pourtant essentiels au bon fonctionnement de la société. Enfin, ces principes sont couplés à une injonction à l’entreprenariat, mais qui ne se voit pas accompagnée d’une protection sociale adaptée.
La valeur d’existence est un concept en économie pour qualifier le souhait d’existence d’un poste, d’un bâtiment etc. C’est le cas avec les bibliothèques qui, bien que leur retombée économique soit très faible, relève d’un véritable attachement pour les habitant·e·s. Cette valeur pourrait à elle seule suffire à justifier la présence des artistes.

> Les différentes économies de l’art
L’économie du marché de l’art est incarnée par les artistes au renom international, tel·le·s que Jeff Koons, et les collections de milliardaires, comme la Fondation Pinault. Cette économie n’intéresse et ne concerne ainsi qu’une minorité de la population mondiale, mais représente ce qui émane de l’activité artistique.
L’économie de l’art dans le développement des territoires vise à voir comment l’art participe à la dynamique des villes. Il peut s’agir de la création d’un parcours artistique créé suite à la concentration de totems dans une petite ville, comme à Arles ou Bristol, bien que l’engouement territorial ne soit pas synonyme d’enrichissement pour la ville et ses habitant·e·s. Cette économie relève de l’impact économique de la création artistique dans les collectivités territoriales (tourisme, immobilier, attractivité territoriale). En effet, la « classe créative » porte aujourd’hui le développement des territoires.
Mais spontanément, les offices de tourisme ne redistribuent pas aux différent·e·s acteur·rice·s les bénéfices apportés par les évènements culturels et artistiques car elles n’en ont pas l’obligation légale. À l’inverse, il n’est pas possible de les empêcher de « profiter » de ces évènements. Il pourrait donc être intéressant d’inciter les pouvoirs publics à prendre ce type de mesure. Pour le moment, il n’existe pas d’études recensant les différentes initiatives venant de la part des artistes ou des structures pour ce type de mobilisation d’autres acteur·rice·s économiques.
Selon Nathalie Moureau et Marion Vidal, le marché de l’art contemporain en France représentait environ 450 millions d’euros en 2013, dont 90 % réalisés en galerie*. Si l’on admet que la moitié revient aux artistes, alors les revenus issus de ce marché représentent 225 millions d’euros. En 2017, on recense environ trente-cinq mille artistes plasticien·ne·s ayant touché un revenu artistique moyen de 13 000 euros soit 455 millions d’euros. Ainsi, les revenus des artistes hors du marché de l’art représentent l’équivalent de ceux retirés du marché de l’art lui-même.
* Nathalie Moureau, Dominique Sagot-Duvauroux, Marion Vidal, « Collectionneurs d’art contemporain : des acteurs méconnus de la vie artistique » dans Cultures Études, n°1, 2015.

> Typologies des profils d’artistes
Les artistes peuvent être classé·e·s en quatre catégories, selon la part d’innovation et de liberté dans la création de leurs oeuvres. Les artistes faisant partie de collectifs ou d’associations sont globalement dépendant·e·s des projets et commandes auxquels iels répondent. Leur financement est ainsi principalement d’origine institutionnelle, tout comme les artistes-artisan·e·s entrepreneur·euse·s. En revanche, ces dernier·e·s appartiennent plutôt au monde de l’art classique que de l’art contemporain. C’est également le cas des artistes de salon. Iels reçoivent des financements privés provenant des différentes galeries marchandes où iels exposent, sans passer par un système de commandes. À l’opposé se trouvent les artistes de foire, principalement rémunéré·e·s par le marché de l’art. Si les artistes faisant partie de collectifs et les artisan·e·s sont très ancré·e·s dans leur territoire, cela n’est pas le cas des artistes de salon et de foire.
> Effets induits
En 2019, les dépenses liées au tourisme représentaient 170 milliards d’euros, dont la moitié motivée par du tourisme culturel*. Si une taxe à 0,1 % était prélevée sur ces 85 milliards d’euros, cela permettrait d’offrir une allocation de 300€ par mois aux artistes pour financer leur travail de recherche, redistribuant ainsi une partie de la richesse produite. Cette aide devrait être versée de manière automatique à tou·te·s les artistes sans critère de jugement de leur travail.
* Rapport d’activité Atout France, 2019.

> Utilité sociale
L’utilité sociale d’une activité est son objectif de contribution à la cohésion sociale, à la solidarité, à la sociabilité et à l’amélioration des conditions collectives de développement humain. L’utilité sociale de la création artistique se situe donc au-delà des commandes passées par les structures et les institutions. Les artistes participent à un réenchantement des territoires en montrant aux populations qu’il est possible de « faire oeuvre » ensemble.

> Conclusion
Des manières d’améliorer les moyens économiques mis à disposition des artistes existent. Il peut s’agir d’un retour de la valeur vaporeuse dans les filières artistiques, du financement de la création par les revenus du patrimoine, ou encore la rémunération du travail de recherche des artistes, comme évoquée précédemment. Le dispositif du 1 % artistique pourrait être élargi pour permettre de créer des ateliers d’artistes dans les lieux et serait ainsi plus en adéquation avec les formes que prennent les créations contemporaines. Il s’agirait également de trouver des financements publics autres que les services culturels. Pour cela, il pourrait être intéressant de revenir sur les droits d’auteur·trice·s des artistes décédé·e·s qui, au lieu de revenir aux successeur·euse·s, pourraient permettre de constituer un fonds d’aide à la création. Il est aussi possible d’imaginer étendre le GIP Cafés Cultures* pour permettre aux cafés de financer des expositions entières, mais aussi de l’élargir à d’autres lieux tels que les hôtels. Une plus grande horizontalité des réseaux et politiques publiques serait enfin souhaitable.
* Le Groupement d’Intérêt Public (GIP) Cafés Cultures assure la gestion d’un fonds dédié au soutien de l’emploi artistique dans lieux de proximité que sont notamment les cafés, bars et restaurant, afin d’y favoriser l’offre artistique. Pour en savoir plus : gipcafescultures.fr

II. Monique Auburtin, Galeries associatives et lieux alternatifs
> L’association Divergence
L’association Divergence a été créée par Monique Auburtin, Michel Auburtin et Jean-Louis Guermann en 1976, à Metz (57000). C’est une galerie d’exposition rassemblant des plasticien·ne·s et écrivain·e·s. Le lieu rencontre un franc succès autant de la part du public que des artistes, qui ont envie d’y exposer pour le côté « différent » de Divergence. Les artistes n’y sont pas jugé·e·s sur l’esthétique de leurs oeuvres, mais sur les concepts qu’iels y déploient. La galerie tient à soutenir des projets porteurs de nouveauté, hors du commun, ce qui est un véritable défi à la sortie de mai 1968 et à la suite du mouvement artistique Supports/Surfaces. Divergence perdure jusqu’en 1983 avec très peu de moyens, fonctionnant grâce à l’énergie et l’implication des différent·e·s membres. La galerie ne demande aucune contribution financière aux artistes, se chargeant entièrement du loyer. Lorsque les artistes ont pu obtenir des subventions grâce à Jack Lang, iels sont devenu·e·s beaucoup plus exigeant·e·s, en demandant toujours davantage à la galerie.

> Galerie OEil
Après Divergence, Monique reprend la galerie OEil, ouverte par son père dans le lycée Jean Moulin à Forbach (57600) en 1970. Elle réinvestit ce local clos, qui présente de véritables contraintes pour les artistes, remembre l’équipe avec des personnes plus jeunes et invite des philosophes à y faire des soirées. C’est l’une des premières galeries présentes dans un établissement scolaire.

> Avant démolition
Toujours à Forbach, Monique investit un local mis à disposition par la ville et y invite des étudiant·e·s de trois écoles d’art, sans professeur, pour leur proposer un lieu de création et d’expérimentation. Pour tou·te·s, c’est une véritable découverte de ce qu’est un·e étudiant·e en train de travailler. Iels occupent pleinement l’espace et s’y sentent extrêmement libres, menant parfois à quelques dérives. S’iels sont arrivé·e·s avec des niveaux très différents, tous les travaux finaux sont excellents. Mais estimant que le projet devenait trop dangereux (seulement Monique pour encadrer), le maire en demande l’arrêt.

> Le Castel-Coucou
De 1999 à 2008, Monique crée le Castel-Couou, espace d’art expérimental au-dessus des locaux du service technique de Forbach : ancien appartement de 200m² entouré de terrasses. Le Castel-Coucou se définit comme un producteur d’émulsions, un montage moléculaire de différent·e·s acteur·rice·s (artistes, publics, partenaire, ville, association, région frontalière). L’accueil des artistes s’y fait sur rencontre et pas sur dossier : Monique tient à les rencontrer individuellement et seul·e·s celleux en qui elle sent une réelle ambition et une certaine confiance sont invité·e·s à poursuivre l’aventure. Chaque année est également sélectionné·e un·e artiste pour prendre en charge la charte graphique du Castel-Coucou. À chaque fin de saison est organisée une grande fête où les artistes aussi bien que les publics sont invité·e·s. Le Castel-Coucou entretient ainsi la dynamique d’un réseau invisible et jusqu’alors inexploité tout en permettant de créer du lien entre les les villes.

> Conclusion
Entre ces différents projets menés dans la même ville, Monique et ses associations couvraient l’ensemble de la scène artistique à Forbach. Aujourd’hui, ces espaces n’existent plus. Le Castel-Coucou a pendant un moment occupé une synagogue désacralisée, puis le maire n’a plus souhaité financer le projet, qui a ainsi pris fin.

III. Claire Boitel, L’association 47.2 à Cosne-Cours-sur-Loire (58200)
Site de l’association : 47-2.fr
> Présentation
Claire Boitel est artiste graphiste et céramiste. Son conjoint, Alexis de Raphélis, est réalisateur. Tou·te·s deux cherchent un endroit pour créer et donner naissance à des projets collectifs. En février 2018, iels achètent un lieu à vendre à Cosne-Cours-sur-Loire : L’Imprimerie. À ce stade primitif du projet, iels sont quatre personnes et seulement deux travaillant par ailleurs à temps plein. Mais au lieu de théoriser éternellement sur un projet et d’attendre qu’il soit « parfait » avant de le lancer, iels décident d’ores-et-déjà de monter l’association 47-2. En étant dans le « faire » et surtout le « faire ensemble », iels génèrent de l’expérience et du réel qui leur permet d’avancer et de se former tout en concrétisant leurs projets.
Aujourd’hui encore, 47-2 ne reçoit pas d’aides de la mairie ou du département. Le lieu ouvre en 2019 et obtient le soutien de la DRAC. Chaque année a lieu une sélection collective selon les envies des membres de l’association pour les artistes à inviter en résidence. L’objectif est que chacun·e puisse produire ce qu’iel souhaite, sans aucune obligation. 70 % de la vente de chaque objet revient aux artistes et les 30 % restant sont dédiés au soutien des autres projets de 47-2.

> Fonctionnement
Sur trois niveaux, l’association dispose d’un espace transformable, d’une cuisine, d’un atelier terre, d’une galerie, d’une salle de montage audiovisuel, d’un bureau collectif et d’une bibliothèque, d’une salle de bain et d’un studio à destination des artistes en résidence.
L’un des enjeux de l’association est de convaincre les publics que les lieux culturels ne sont pas réservés à une certaine élite. Pour cela, elle met à disposition de tou·te·s des espaces communs permettant de se retrouver et d’échanger, rendant possible la rencontre et le partage. C’est notamment le cas avec la cuisine, ouverte en 2021. Cet espace se veut convivial et a pour objectif de réunir habitant·e·s, membres et résident·e·s autour de repas communs. Une cantine y est ouverte les jours de marché et peuvent y être organisés des ciné-repas, des conférences cuisinées ou encore des banquets partagés.
La galerie endosse également le rôle de lieu de regroupement, exposant les travaux d’artistes en visite, vend des oeuvres réalisées sur place lors de résidences et la production des céramistes des alentours, tout en y rassemblant encore une fois des publics très diversifiés. Plus qu’une utilité artistique, le lieu est d’utilité sociale par son effet fédérateur sur le territoire.

> Conclusion
Tout en étant directrice du lieu, Claire continue d’exercer ses activités professionnelles à côté pour pouvoir se rémunérer et ne pas avoir besoin de le faire via l’association. Si tout le temps passé à 47-2 est fait en tant que bénévole, cela n’amoindrit pas pour autant sa valeur, au contraire. Il est même très important, selon Claire, de noter ses heures de bénévolat.

IV. Dorian Degoutte, L’association Vierzon-Cinéma à Vierzon (18100)
Site de l’association : vierzon-cinema.fr
> Présentation
Le projet Vierzon-Cinéma a pour objectif de créer une plateforme audiovisuelle à Vierzon, s’appuyant sur le contexte particulier de la ville. Il s’agit d’un endroit a priori délaissé par les pouvoirs publics et s’en trouvant désertifié, comme beaucoup de villes moyennes en France dont l’avenir reste incertain. Vierzon a été vidée de ses habitants, de ses industries, de ses activités et s’y trouvent nombre de friches et espaces abandonnés. Dorian s’intéresse ainsi à la question du vide dans cette ville, qui n’est pas synonyme d’absence humaine puisque Vierzon est un rassemblement de quatre villes comptant 27 000 habitant·e·s.
Dans le cadre de travaux publics, un chevalier a été retrouvé enseveli et pétrifié dans les marais de Vierzon, encore assis sur sa monture, dans le même état que lui. La route de Vierzon était pour lui un raccourci, mais ce choix lui a finalement coûté la vie. C’est à partir de cette anecdote qui lui fut racontée à son arrivée à Vierzon que Dorian réalisera son prochain film. Elle devient alors une métaphore de la vie à Vierzon, à la fois attirante et engouffrante.

> Vivre le vide
Pour Dorian, il est important de vivre dans la ville et d’expérimenter son vide pour s’en imprégner et être au contact des habitant.e.s et non pas seulement venir y travailler en vivant à Paris, par exemple. L’idée est alors de faire de ce vide un support à projets, beaucoup d’habitant·e·s ont en effet leurs propres projets d’entreprises pour Vierzon. Cependant, la rudesse de la vie dans ce lieu les rend en grande majorité impossibles. L’un des principaux obstacles rencontrés peut être le manque d’interlocuteur·rice·s et de partenaires pour mener à bien un projet. Contrairement aux grandes métropoles, il y a tout un nouveau réseau à créer.

> Fédérer
Entre désertification, mixité sociale et transformation urbaine, Vierzon-Cinéma participe à la fabrication d’une compilation de regards croisés sur les transformations et tensions de ces villes moyennes. Dans ce type d’initiatives, l’associatif offre bien plus de possibilités que le commercial. Par exemple, Vierzon-Cinéma organise chaque année une projection plein-air pour laquelle Emmaüs prête les canapés, tapis et lampes, rendant l’évènement possible.
Il y a peu, la mairie de Vierzon – qui donnait alors 10 000€ à l’association – a annoncé qu’elle ne soutenait plus le projet. D’une certaine manière, puisque les films produits mettent en critique Vierzon et sa gestion, cela semble davantage cohérent que la Ville ne soit pas son (unique) financeur. Vierzon-Cinéma est ainsi à la recherche de nouveaux partenaires publics et privés pour pouvoir continuer ses activités.
Pour vivre sans passer par l’association, Dorian a réussi à obtenir le statut d’intermittent du spectacle et tire donc sa rémunération de ce dernier.

V. Antoine Bacchman, Le post-master Design des mondes ruraux – Arts décoratifs de Paris à Nontron (24300)
Site du post-master : ensadnontron.cargo.site
> Contexte
L’École des Arts Décoratifs de Paris a mis en place un post-master à Nontron, réunissant huit personnes âgées de 23 à 30 ans titulaires d’un Master 2 en design, art, architecture ou autres, pour vivre et travailler ensemble dans une maison commune, alors qu’iels ne se connaissent pas. Nontron a été choisie par l’ENSAD car elle réunit les caractéristiques d’un territoire en baisse démographique. Tout comme à Vierzon, elle pose la question des boutiques vides et de la désertification, alors que la ville est toujours vivante et n’est pas dépeuplée de ses habitant·e·s. L’enjeu du post-master est de répondre à ces problématiques par le design.

> Un statut particulier
Tout comme pour Dorian à Vierzon, l’intérêt de ce projet est de vivre le vide de Nontron, les problématiques propres à ce lieu et partager le quotidien et la réalité des habitant·e·s. Il faut également prendre compte l’accès à l’espace car, dans ce cadre, les étudiant·e·s font le choix de venir vivre cette expérience, alors que pour les habitant·e·s, vivre à l’extérieur des grandes métropoles peut être plus ou moins une obligation, par soucis de moyens. Cette gentrification pose la question de la dynamique menée par les artistes, faisant augmenter la valeur d’un quartier ou d’une ville par leurs travaux, mais qui s’en font ensuite chasser avec les habitant·e·s pour être remplacé·e·s par des personnes plus aisé·e·s. On peut à nouveau parler de valeur d’existence : c’est parce que les un·e·s sont ici que les autres peuvent être là-bas.
Les étudiant·e·s ont alors un statut d’artistes comme révélateur·rice·s des problématiques présentes à Nontron, apportant par la même occasion une visibilité à la ville. Iels se trouvent dans une position sociale où iels cherchent des terrains de recherche et leur donnent, par leur présence et leurs travaux, une valeur ajoutée. Ce type d’initiatives rebat ainsi les cartes de la construction des dynamiques économiques publiques mais aussi des liens qui unissent les espaces et les générations. Dans ces petits lieux, les habitant·e·s entretiennent une certaine fierté pour leur propre culture et ce qui constitue leur patrimoine commun.

> Le rôle des artistes
Qu’est-ce que l’art ? Et quel est-il dans les espaces où la culture y est quasiment absente ? Là encore, l’art revêt une valeur sociale bien plus qu’économique et peut-être vu comme une manière de porter attention aux choses. En mettant au premier plan la dimension sociale, il s’agit peut être de revenir à ses engagements premiers en termes de création artistique.
Pour l’instant, la postérité du post-master n’a pas été pensée. Parmi la promotion 2021-2022, Antoine est le seul qui aimerait poursuivre l’aventure à Nontron au-delà du projet initié. Mais pour cela, il devra le faire par ses propres moyens.

Programmation associée

Pas de programmation associée